« Elle est des nôtres »
8h15, Invalides, quai du RER C. J’ai repris le travail cette semaine. Cinq jours après le réveillon et une gueule de bois, mon programme pour ce week-end était aussi délicieux que futile : dormir, lire sous la couette, et me prélasser dans un bain chaud. Alors, qu’est-ce que je fous là ?
On s’est toutes réveillées à l’aube, angoissées à l’idée de manquer le RER, impatientes et heureuses d’y aller, de les rencontrer. Un trio de bénévoles en tenue de yoga, trois apprenties sorcières qui auraient troqué leur balai contre un tapis volant. Chacune a apporté sa potion : Mai-Liên entame son litre de tisane maison, Alice souffle sur son mug reçu à Noël qui sent bon la cannelle, tandis que je sirote un maté chocolaté.
Il y a des travaux sur la voie, le train fait des détours et multiplie les arrêts. Bibliothèque François Mitterrand – Juvisy – Rungis – Massy-Palaiseau. Après une heure de trajet nous ne sommes toujours pas arrivées ; mais on a fait connaissance, on s’est raconté nos parcours, l’année qui s’est terminée et les projets à venir. La découverte du yoga, nos dernières lectures, l’Ukraine, les chants traditionnels, l’alimentation végane et les prisons pour femmes. Une discussion en mode Champ Libre.
10 heures. Gros retard. On saute du wagon et on court avec nos tapis colorés à travers Versailles. Une singularité en France, une heureuse anomalie, la maison d’arrêt est située à quelques minutes du centre ville. Le contrôle à l’entrée ressemble à celui d’un aéroport : il faut donner sa carte d’identité, passer sous un portique, se présenter à un, deux, trois gardiens. Des portes s’ouvrent et se ferment, « Salle polyvalente, à l’étage. »
Roses, bleus, oranges, verts fluo, les tapis et tatamis sont posés au sol et décorent cette pièce étrangement étroite et haute de plafond. Une jolie petite brune à la peau mâte fait son entrée. Não falo o francês. Não falo o francês, répète-t-elle en souriant. Suit une détenue à l’air timide et juvénile, que l’on imagine beaucoup mieux sur les bancs de l’université. Rapidement, toutes les places sont occupées et les têtes mélangées, des blondes, des brunes, de vingt à cinquante ans, roumaines, françaises, algériennes et mexicaines. Ce qui est génial, c’est qu’en jogging et en chaussettes, en posture bras levés tête en bas / fesses contractées ventre relâché /, on est toutes égales. Les rires fusent. Les râles aussi – c’est dur, ça tire, ça donne le tournis. On exécute la salutation au soleil, la posture de l’arbre, du pigeon, du nourrisson, du cobra. Alice nous guide et dessine un fantastique paysage corporel.
11 h 40, la gardienne toque à la porte, il faut partir. Le signal est un peu abrupt, on n’a pas vu la séance passer, on n’a même pas eu le temps de se parler. Vite, on range les tapis, chacune remet ses chaussures, on se souhaite une bonne semaine. Je serre des mains, leur dit au revoir. Une des femmes me demande : « Mais t’es une détenue toi aussi, non ? » Hélène est des nôtres, si telle est sa pensée, la magie de Champ Libre a opéré. »
Retour d’impression d’Hélène, nouvelle bénévole à Champ libre, après un premier atelier avec l’association