Communiqué sur l’organisation d’activités en détention
Koh-lantess, une polémique révélatrice de la fracture entre la réalité carcérale française et le mythe des prisons 4 étoiles.
Ce samedi 20 août 2022, une enquête a été ouverte par le Ministre de la Justice au sujet d’une parodie de Koh Lanta organisée à la maison d’arrêt de Fresnes, dont le but était de rassembler des fonds mis au profit d’associations caritatives, dont l’Association Arc-en-Ciel qui réalise les rêves d’enfants atteints du cancer. Les participants étaient des personnes détenues, du personnel pénitentiaire, les organisateurs et certains jeunes de leur quartier.
Le 23 août 2022, à la suite de la polémique née de cette décision d’enquête, et au regard du profil pénal lourd de deux des participants, les organisateurs ont choisi de supprimer la vidéo de l’évènement.
En tant qu’association engagée pour créer du lien auprès des personnes isolées, et notamment auprès de personnes détenues, Champ Libre tient à faire part de son soutien à cette initiative face aux nombreuses critiques qu’elle a provoquées. Il ne s’agit pas ici d’expliquer les raisons de cette activité dont Champ Libre n’est pas à l’initiative, mais de partager les réflexions des bénévoles organisant des activités auprès de personnes détenues.
Les activités en détention sont une nécessité qui participe à la réinsertion des détenus. Elles luttent contre une oisiveté contrainte, pour ouvrir les horizons, pour favoriser un accès à la culture, pour éviter l’escalade des ressentis de frustration nés de l’enfermement, pour faire renaître un sentiment d’appartenance à la société, pour tisser du lien social dans les lieux de privation de liberté qui en sont dépourvus par essence. Nécessaires pour l’ensemble de la population carcérale, elles le sont encore plus pour les personnes condamnées à des peines longues et désocialisantes.
Cette activité, comme la majorité des projets menés en détention, a été entièrement financée par ses producteurs et organisateurs. Les financements publics sont bien rares lorsqu’il s’agit de soutenir la réinsertion au travers de projets culturels ou sportifs. Malgré tout, des initiatives remarquables naissent en prison, qu’il s’agisse de représentations de théâtre, expositions de peinture, courses au profit d’associations caritatives… La polémique actuelle est l’occasion de rappeler que ce sont les associations qui prennent en charge une partie de cette obligation relevant de l’État.
Au-delà même de la complexité des enjeux de réinsertion, le fait de juger inappropriée une activité car il s’agit de karting revient à hiérarchiser les activités considérées comme acceptables ou non pour des personnes détenues. De la même manière, la hiérarchisation des personnes détenues selon leur peine conduit à déterminer qui mérite ou non de participer à des activités, alors même que l’accès à la culture est un droit fondamental qui devrait être décorrélé de toute idée de récompense ou de sanction. Là encore, il s’agit d’une lecture réductrice occultant les enjeux réels des initiatives extérieures en détention, seuls espaces permettant des rencontres et échanges de savoirs. C’est d’autant plus vrai lorsque, comme ici, l’activité mêle personnes détenues, personnel pénitentiaire et personnes extérieures.
Lancer cette polémique, infondée sur le plan de la lutte contre la récidive et pour la réinsertion, c’est faire le jeu des idées simplistes sur le sens de la peine, et parfois même confisquer la parole des victimes en l’instrumentalisant à des fins idéologiques. A titre de rappel, le nombre de détenus pour des dossiers sans victimes est plus important que celui pour des dossiers avec victimes [1].
Pour rappel, la prison de Fresnes, plusieurs fois épinglée pour ses conditions indignes de détention, est également l’une des plus vétustes. Au 1er juillet 2022, le quartier maison d’arrêt pour hommes de Fresnes totalisait 1918 personnes hébergées pour 1330 places (taux d’occupation de 144%, [2]). Le 30 janvier 2020, l’État français a été condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme pour ses conditions inhumaines de détention. Plus de deux ans après, la surpopulation carcérale n’a pas diminué. Les conséquences de l’isolement carcéral et du manque d’insertion, c’est un taux de suicide 6 fois supérieur [3] à la population générale et un taux de récidive de plus de 60% sous 5 ans [4].
Dans ce contexte, Champ Libre appuie les propos de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté à ce sujet, venue rappeler que “le vrai scandale, c’est la surpopulation carcérale et les conditions dans lesquelles vivent les détenus et dans lesquelles travaillent les surveillants” [5].
Il est impensable qu’en France, la participation de personnes détenues à une activité de karting en maison d’arrêt, nécessairement soumise à la validation de l’administration pénitentiaire, suscite plus d’indignation que ces constats de violation du droit des détenus les plus essentiels. Il est d’autant plus choquant que le Ministre de la Justice donne du crédit à cette polémique tout en ayant connaissance de l’état des lieux des prisons françaises.
[2] Statistique des établissements et des personnes écrouées en France – Ministère de la Justice
[3] Prison : 122 détenus se sont suicidés en 2021, selon le ministère de la Justice – Le Parisien
[4] La prison permet-elle de prévenir la récidive ? – Observatoire International des Prisons
[5] Koh-Lanta à Fresnes : « Mieux vaut ça que des suicides », explique Dominique Simonnot – RTL
Version PDF : Communiqué de Champ Libre sur Kohlantess (pdf)
Quelques préjugés démontés par une de nos bénévoles Champ Libre : vidéo pangaa sur instagram