Un frais matin d’été, comme ils sont si courants à Paris en Juillet. Il fait presque trop froid et nous sommes à peine assez habillés malgré le beau ciel bleu. Nous sommes en avance, pas de cafés aux alentours. A l’ombre d’une grande avenue, de grands bâtiments en pierre de taille nous font face. Le nôtre ne dépare pas, si ce n’est la vitre opaque, l’hygiaphone et le drapeau français.

Appréhension… c’est la première fois que, citoyen sans histoire ou presque, je vais mettre les pieds dans une prison. Premier contact, administratif, comme à la CAF. « Bonjour Messieurs, papiers d’identité s’il vous plaît ? Vous venez pour ? ». Nous sommes venus pour faire de la poésie, mais est-ce que nous ne nous sommes pas trompés de direction ? Vanité de l’écriture contre la froideur cordiale de la prison.

1ère porte. Il faut prendre un tout petit casier, comme un vestiaire de piscine, laisser toutes ses affaires. 2ème porte – 1er bip d’ouverture. Ce n’est pas la douche, mais le portail de sécurité. 3ème porte – 2ème bip. On avance, vers où ? on ne sait pas trop. 4ème – 3ème bip. La cour des hommes, on traverse. 5ème porte – des clés cette fois-ci ? Un couloir. 6ème porte – 2ème serrure. Un plus petit corridor. 7ème porte – 3ème serrure. Le bâtiment pour femme. Deux étages. La salle commune est au premier. La porte est fermée mais pas à clef. On nous a ouvert… Attention délicate. Salutations de rigueur, plus cordiales, presque chaleureuses. « On vous attendait, on vous les amène ». Tous les deux, seuls, dans la salle. On attend. Elles arrivent en file indienne : E., B. , S., S., M., J. , A., M., C.,C.

Surprise. Salutations gênées. On s’observe un peu et puis on commence. Un questionnaire de Proust, quelques activités et l’on parle de la vie, des absents, des petites sensations du quotidien qui nous manquent, les odeurs, les saveurs. Les paysages qui habitent notre enfance. La pluie qui tombe sur les toits de tôle de Kinshasa, les enfants qui jouent nus dans les flaques de latérites détrempées. Résonnent avec nous les rires, la chasse aux grenouilles. Nous pourrions tout aussi bien être autour d’une table à nous remémorer nos souvenirs, avec ce silence qui s’installe et laisse chacun à la recherche de ces bribes d’enfance perdues. Mais ici dès que le silence revient, la prison nous rattrape et nous sépare à nouveau. Ces femmes dont nous étions si proches et avec qui nous avions une enfance en commun.

3 ½ journées, 6 heures, 48 portes, 6 clés. Mais des sourires, des regards, des voix, une émotion… Une humanité… La poésie de l’instant. Ce qu’il me reste de Versailles.

Jean-Pierre